VEVEY | Pour la 541e fois et comme tous les deuxièmes mardis de novembre, les Veveysans célèbrent leur «événement le plus important du monde»: la Foire de la Saint-Martin. «24heures.ch» vous en propose une chronique en texte et en photo.

© Fridolin Wichser | Les grenadiers dressent leur bivouac devant l’Hôtel-de-Ville.

8 h L’été de la Saint-Martin a passé la nuit au congélateur, mais au moins il ne pleut (ou neige) plus. Un rayon de soleil blafard éclaire même Vevey. Il éclaire une ambiance bizarre…

Sur la Place du Marché, quelque 500 marchands ont dressé leur échoppe. Comme le village de tentes d’une armée médiévale qui assiégerait le boeuf qui tourne sur sa broche depuis la veille.

Dans le trafic chroniquement chaotique d’une ville qui décidément n’aime pas les autos, les conducteurs doivent redoubler d’attention pour éviter le choc spatio-temporel: il est devenu rare de croiser un grenadier de l’empereur ou un bœuf conduit par son paysan.

Par contre, ces piétons un peu particuliers ont droit à une rare courtoisie de la part des automobilistes. Peut-être les fusils à silex et la rutilante hache du sapeur y sont-elles pour quelque chose…

Les grenadiers (des Milices vaudoises, précisons-le) dressent leur bivouac devant l’Hôtel-de-Ville. Passe le syndic Laurent Baillif, visiblement ravi.

Que représente pour lui la Foire de la Saint-Martin? «C’est pour nous un ancrage dans le passé, mais elle illustre aussi les plus récentes tendances: le retour à la terre, la traçabilité des produits, le choix du commerçant de proximité plutôt que du centre commercial péri-urbain… Celà explique le succès des marchés folkloriques et des autres fêtes de proximité, comme la fête des voisins.

Fridolin Wichser | C’est l’heure du cortège. Tout Vevey est au rendez-vous

© FRIDOLIN WICHSER | Martin de Tours, casaque blanche, toque blanche.

9 h: Les Veveysans descendent dans la rue. Des ribambelles de gosses s’alignent sur les trottoirs. La bise? Connaît pas! Bien emmitouflés, ils chantent en choeur.

Tout aussi parés contre les frimas et les glaglas, des couples du troisième âge investissent leur terrasse favorite. Monsieur se commande un canon et Madame papote avec son homologue de la table d’à côté. Ils attendent.

C’est l’heure du cortège. Rituel immuable, un p’tit parfum de Fête des Vignerons (l’événement veveysan et planétaire qui a lieu quatre fois par siècle): voici les plus belles vaches de nos monts, les moutons, les ânes. Et puis les officiels, la fanfare, les Milices vaudoises, l’Harmonie montée du Chablais.

«Notre but est de maintenir la tradition en général et ce cortège en particulier, même s’il nous coûte de plus en plus cher: les normes de sécurité et d’hygiène sont de plus en plus draconiennes, les infrastructures de plus en plus chères. Sans l’effort de nos éleveurs, qui traversent des temps déjà difficiles, rien ne serait possible», explique Nicolas Darin, connétable (caissier) de la Confrérie de la Saint-Martin.

Entre folklore et Normes modernes, les temps sont durs, en effet. Pour le bétail. Un panneau «viande de nos Monts» est apposé à l’étable aménagée sur la Place du Marché. Et pour les paysans: «Avec les normes actuelles, les touristes veulent voir mon mari en bredzon plonger ses bras noueux dans la marmite sur le feu de bois et, dix minutes plus tard, les experts de Changins viennent vérifier s’il est bien en tenue stérile dans son laboratoire…» ironisait l’épouse d’un fromager d’alpage. Mais ceci était un aparté.

© Fridolin Wichser | Le plat principal, un boeuf de 340 kilos: la vache!

Parlons-en enfin, de ce Martin qui donne son nom à la fête et qui parade dans un costume doré qui n’évoque à vrai dire guère son origine romaine. Né au début du quatrième siècle dans une lointaine garnison de l’actuelle Hongrie, Martin était fils d’officier (son nom signifie «dédié au culte de Mars») et se retrouva officier lui-même sur l’injonction d’un papa qui ne goûtait guère les velléités chrétiennes de son ado.

Et c’est lors d’une ronde de nuit à Amiens qu’il fend sa cape pour en donner la moitié à un mendiant pelant de froid sous une bise de la… Saint-Martin. Vous me direz: «une demi-cape, c’est une générosité de Suisse!». L’histoire précise tout de même qu’il avait déjà épuisé sa solde en aumônes. Et sa cape était tout de même plus qu’un simple manteau, un insigne de sa fonction.

Bref. Devenu «à l’insu de son plein gré» évêque de Tours, Martin est un des saints majeurs de France et du culte des saints. Au point que le mot «cape» est à l’origine de «chapelle». Et le généreux Martin est devenu synonyme de promesse d’un hiver moins rigoureux et plus festif, donc saint-patron des grandes foires d’automne. Dont celle de Vevey.

541 ans plus tard, le centurion devenu évêque parade avec des grenadiers et des cavaliers à l’allure très napoléonienne. Mais il répète son don du demi-manteau. A noter que le «pauvre de service» est désormais le syndic de Vevey. Faut-il y voir un symbole?

11 h Comme la brigade de la Confrérie de la Saint-Martin, appelons-la Marguerite. De la race d’Hérens, cette vache est née et a été élevée sur les monts, la campagne qui surplombe Vevey.

Et puis son heure fatale est tombée: le pourtant présumé sympathique ruminant a été désigné pour être le boeuf de la 541e Foire de la Saint-Martin. Et depuis hier lundi à 18 h, sa carcasse tourne sur la broche devant la grenette de la Place du Marché de Vevey. Avant de finir dévorée par 700 convives sur le coup de midi.

Avec son confrère Johann Moos, Gérald Fardel a préparé cette broche de 700 portions. Il nous en livre la recette:

«Prenez un boeuf (ou une vache) de 340 kilos. Mettez le à la broche la veille de la foire, à 18 h. Prévoyez 150 kilos de charbon de bois pour tenir.» Dix litres de vin ont été utilisés pour arroser la viande. Par contre, Gérald Fardel reste discret sur les quantités consacrées à humecter le gosier des cuisiniers…

Quant à l’assaisonnement, il reste discret, pour préserver le goût originel de la viande, à peine deux kilos de sel et de condiments. 18 heures à surveiller la broche, ça n’est pas trop dur? Eh non: le duo de cuisiniers a son fan’s club: «La déjà traditionnelle veillée du boeuf s’est très bien déroulée, la nuit a été très agréable et nous avons eu du renfort jusqu’à deux heures du matin, malgré la bise», sourit Gérald Fardel.

Un budget de 50 000 francs

Le boeuf, le papet (700 saucisses aux choux se noyant dans un océan de poireaux et de patates aux Galeries du Rivage), le cortège et la tente des animaux: le programme d’animation assuré par la Confrérie de la Saint-Martin représentent un budget de 50 000 francs, avoue Nicolas Darin.

Mais quand on aime, on ne compte pas. Et avec plus de 120 bénévoles en coulisses et 1400 convives, on peut tourner.

© Wichser

15 h Faire le tour de la Foire de la Saint-Martin, c’est presque aussi riche qu’un tour du monde. Presque aussi fatiguant, aussi. L’espace d’un jour, la Place du marché de Vevey devient portail spatio-temporel: le chaland saute de la Gruyère à Sri Lanka, du Moyen-Age au XXIe siècle.

Le Moyen-Age? Parfaitement! Pour permettre au plus grand nombre de s’équiper pour l’hiver, les ducs de Savoie ont permis à tous les riverains du Léman de devenir commerçants d’un jour, sans devoir payer de taxe à leur seigneur. La foire devenait ainsi l’occasion pour les paysans et artisans des hauts et du bas d’échanger leurs produits.

Le principe est resté. Au point que les commerçants et les associations désireux de participer sont plus nombreux que les places pouvant les accueillir. Ce qui permet aux organisateurs de donner priorité aux associations et organisations à but idéal, fidèles aux valeurs du saint patron de la foire.

Pour le reste, la Saint-Martin de Vevey est surtout le rendez-vous improbable des paysans, artisans, camelots, brocanteurs, fripiers et autres soldeurs. Sans oublier les restaurateurs de toute origine. On y voit se côtoyer poireaux et papayes, résonner le Ranz des vaches et les tubes de Lady Gaga, monter les effluves du papet et du Suki-Yaki.

15 h «Dans nos caquelons, la circulation ne pose pas de problème!» proclame un panneau du mythique bistro veveysan «Les trois sifflets». A Vevey, la circulation est le sujet qui fâche, concède même le syndic Laurent Baillif.

De fait, la Foire de la Saint-Martin, ça se mérite! Il faut déjà entrer en ville de Vevey… Puis s’y parquer. Équation simple: la Place du Marché, principal parking de la ville, est occupée par les 500 étalages des marchands. Qui ont bien dû poser leur fourgon quelque part.

Ajoutez que des chantiers labourent plusieurs rues… Le parking du Panorama? Réservé aux seuls abonnés jusqu’à 9 h!

Sympa. Heureusement, Vevey est une ville assez tortueuse, riches en venelles et autres passages peu connus. Le chroniqueur a réussi à y garer le plus légalement du monde. Reste à descendre à la Foire.

A 8 h, la bise aigrelette de la nuit souffle encore un peu, il semble qu’il n’y a pas foule. A 9h, les rues sont noires de monde! Et succès de la Foire de la Saint-Martin se mesure au temps que vous mettez à parcourir toutes les allées entre les 500 stands. Bien plus d’une heure, pour un simple passage sans arrêt… Bon millésime!